Texte : Alphonse de LAMARTINE

Musique :G. BRASSENS

Pensées DES MORTS

 

Voilà les feuilles sans sève qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève et gémit dans le vallon
Voilà l'errante hirondelle qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais, voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères le bois tombé des forêts.

C'est la saison où tout tombe aux coups redoublés des vents
Un vent qui vient de la tombe moissonne aussi les vivants
Ils tombent alors par mille comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs, lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes à l'approche des hivers.

C'est alors que ma paupière vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu'à la lumière Dieu n'a pas laissés mûrir
Quoique jeune sur la terre je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison et quand je dis en moi-même:
"Où sont ceux que ton cœur aime?" je regarde le gazon.

C'est un ami de l'enfance qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence pour appuyer notre cœur:
Il n'est plus, notre âme est veuve, il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié: "ami, si ton âme est pleine
De ta joie ou de ta peine qui portera la moitié?"

C'est une jeune fiancée qui, le front ceint du bandeau
N'emporta qu'une pensée de sa jeunesse au tombeau
Triste, hélas! dans le ciel même, pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas, et lui dit:" Ma tombe est verte!
Sur cette terre déserte qu'attends-tu ? je n'y suis pas!"

C'est l'ombre pâle d'un père qui mourut en nous nommant
C'est une sœur, c'est un frère, qui nous devance un moment,
Tous ceux enfin dont la vie un jour ou l'autre ravie
Emporte une part de nous, semblent dire sous la pierre:
"Vous qui voyez la lumière, de nous vous souvenez-vous?"

Voilà les feuilles sans sève qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève et gémit dans le vallon
Voilà l'errante hirondelle qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais, voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères le bois tombé des forêts.